Décryptage

“COP 26 : nous sommes loin d’être à la hauteur de l’urgence climatique”

La COP 26 s’est ouverte à Glasgow sur un constat alarmant : nos émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse et la perspective d’un réchauffement contenu sous les 1,5 °C s’éloigne… La présidence britannique va devoir faire preuve d’un grand volontarisme pour renverser la vapeur. Décryptage avec Céline Phillips, coordinatrice du pôle Initiatives multilatérales de l’ADEME et membre de l’équipe de négociation française à la COP 26.


Dans quel contexte s’est ouverte cette COP 26 ?
Céline Phillips

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a planté le décor le 9 août, en rendant publique la première partie de son dernier rapport : l’augmentation de la température de la planète depuis l’ère préindustrielle devrait atteindre 1,5 °C avant 2040, loin de la trajectoire requise pour rester sous les 2 °C en 2100 inscrits dans l’accord de Paris. D’une certaine manière, le défi reste le même qu’alors, mais avec un degré d’urgence supérieur : c’est immédiatement que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Malheureusement, dans le contexte de la reprise post-Covid, celles-ci connaissent un rebond spectaculaire. D’où les mots prononcés par António Guterres, secrétaire général de l’ONU, lors de la réunion ministérielle préparatoire à la COP 26, à Milan : « Nous devons nous ressaisir. »

Ce sentiment d’urgence est-il partagé ?
C.P.

Il se diffuse, en tout cas, dans la société civile, et singulièrement dans la jeunesse, qui s’est à nouveau mobilisée le 24 septembre en faveur d’une action plus résolue. Chacun peut constater – quand ce n’est pas subir – la multiplication des catastrophes « naturelles » : ouragans, inondations, méga-feux… Chacun peut aussi faire le lien avec la montée des tensions sociales et géopolitiques entre les États et au sein de ceux-ci. À Glasgow, ces réalités sont dans tous les esprits.

Comment s’est conclue la phase de préparation ?
C.P.

Les engagements des 191 parties à l’accord de Paris en matière de réduction des émissions de GES – contributions déterminées au niveau national – ont été compilés en septembre par le secrétariat de la Convention cadre des Nations unies pour le changement climatique. Ils ne sont malheureusement pas à la hauteur de la situation puisqu’ils déboucheraient, en 2030, sur une augmentation de nos émissions de GES de 59,3 % par rapport à 1990, ce qui, d’après le GIEC, pourrait entraîner une hausse moyenne des températures depuis l’ère préindustrielle de 2,7 °C d’ici à la fin du siècle. Pourtant, certains pays font preuve d’ambition et montrent que l’on peut inverser la courbe. Mais, sans l’action de tous, à commencer par celle des grandes puissances, leurs efforts risquent d’être vains. À l’instar de la France, qui a assuré la présidence de la COP 21 en 2015 aboutissant à l’adoption de l’accord de Paris, la présidence britannique fait preuve de volontarisme depuis plusieurs mois pour obtenir mieux et plus d’engagements pendant la COP 26.

Concrètement, quelles sont les avancées qui peuvent être obtenues ?
C.P.

D’abord une promesse de révision des engagements des pays grands émetteurs, pour réduire significativement leurs émissions de GES et combler l’écart avec l’objectif de l’accord de Paris. Ensuite le respect de l’engagement pris à Copenhague en 2009 de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour soutenir l’action climatique des pays en développement, à quoi il faudrait ajouter les transferts technologiques nécessaires. Même les meilleures années, ce chiffre n’a jamais atteint 80 milliards. Une question se pose à ce sujet : faut-il consacrer en majorité ces sommes à l’adaptation aux conséquences du changement climatique, plutôt qu’à la lutte contre celui-ci ? C’est une demande forte des pays les plus impactés, dont on ne sait pas si elle sera entendue. Nous pouvons aussi espérer des accords sur le mécanisme de développement et transfert de technologies climatiques et la méthode d’établissement du Bilan Global qui devra évaluer en 2023 les progrès effectivement accomplis. Ce Bilan Global est une pièce clé prévue par l’accord de Paris, et ses parties prenantes n’auront pas trop de deux ans pour l’établir.
Enfin la présidence britannique mise beaucoup sur l’engagement des acteurs non étatiques, grandes entreprises en tête. À voir si elles seront au rendez-vous…

 

Quel rôle l’ADEME joue-t-elle dans ce processus ?
C.P.

Outre le support technique apporté à l’État dans les négociations internationales sur le climat, toutes les actions de l’ADEME en direction des collectivités, entreprises et particuliers visent à accélérer la transition écologique. Avec le plan de relance, nous disposons même de dotations jamais atteintes pour aider plusieurs secteurs d’activité, notamment l’industrie, à se décarboner. Nous sommes aussi l’un des deux porteurs d’ACT (Assessing Low Carbon Transition), initiative internationale visant à offrir aux entreprises, un cadre d’évaluation complet pour savoir si leurs efforts sont suffisants pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Il est d’ailleurs inscrit à l’Agenda des solutions porté par les Nations unies. 271 compagnies y adhérent déjà, dans le monde entier.

2 560 Gt CO2

ont été émises dans l’atmosphère depuis 1750, début de l’ère industrielle.

400 Gt CO2

Il s’agit de la quantité d’émissions de GES à ne pas dépasser entre 2019 et 2025, dans le monde, pour réussir à limiter le réchauffement à 1,5 °C. C’est notre « budget » carbone.

54,8 Gt CO2

C’est, selon les engagements des parties de l’accord de Paris, la quantité de GES qui devrait être émise chaque année d’ici à 2025.

“Sans efforts supplémentaires, la hausse moyenne des températures depuis l’ère préindustrielle pourrait atteindre 2,7 °C d’ici à la fin de ce siècle.”

Céline Phillips, Coordinatrice du pôle Initiatives multilatérales de l’ADEME et membre de l’équipe de négociation française à la COP 26